UCM estime que la situation actuelle est inacceptable. Des dizaines de milliers d’indépendants sont inquiétés au nom de la lutte contre la fraude. C’est une dérive. Avec des impacts négatifs, démoralisants. Il faut en tirer les leçons.
Nous sommes fin avril 2023. Le quotidien La Libre relaie les plaintes de plusieurs indépendants et indépendantes recueillies par Het Laatste Nieuws. Plus de 38.000 indépendants sont sommés de rembourser les « suppléments famille ». La raison : ils ont certes des enfants à charge mais les enfants ne sont pas inscrits sur leur carnet de mutuelle mais sur celui de leur conjoint.
« Cela crée des tensions chez les indépendants et c’est inacceptable : il faudrait une amnistie générale car ces erreurs ont été commises en toute bonne foi”, Arnaud Deplae, Secrétaire général UCM, en réaction aux situations malheureuses mises en évidence.
Certes, la lutte contre la fraude sociale et la maîtrise des dépenses publiques sont deux enjeux majeurs pour les gouvernements. Et pour la sécurité sociale. Mais il faut absolument distinguer les deux, et agir de manière adaptée.
Lutte contre la fraude, une force de dissuasion
Dans la Sécu des travailleurs indépendants, le service de lutte contre la fraude sociale est le plus important département de l’Institut national (Inasti). L’objectif est de garantir que les prestations sociales ne bénéficient pas à des personnes non éligibles et malintentionnées.
Chacun comprend l’objectif premier de la lutte contre la fraude : dissuader les fraudeurs présents et futurs, leur faire comprendre qu’ils ne peuvent échapper aux contrôles, aux recours en justice et au remboursement des indus.
Maîtrise des dépenses, une question de règles justes et de process clairs
La maîtrise des dépenses est, elle, beaucoup plus large : elle vise à s’assurer que les ressources allouées par l’État sont utilisées de manière optimale et conformément aux règles établies. Cette démarche implique un suivi rigoureux des dépenses engagées, leur évaluation et la chasse aux gaspillages.
Il est essentiel de ne pas confondre cette maîtrise avec la lutte contre la fraude. Les cas de fraude impliquent qu’on les traque. Les cas de dérives des dépenses demandent des solutions multiples : analyser les situations non optimales, évaluer l’ampleur, corriger les cas d’erreurs manifestes, évaluer les améliorations possibles pour l’avenir…
Retour en 2020 : de 50 demandes à 500.000 demandes par mois
C’est un peu long, mais à la fois fort instructif de rappeler l’historique des octrois massifs de droit passerelle au taux ménage en 2020 et 2021. Vous vous rappelez de cette situation de crise ?
- 17 mars 2020 : la Belgique est mise à l’arrêt, de même que l’activité de centaines de milliers d’activités indépendantes. Le ministre des indépendants réagit et met en place une aide de droit passerelle d’urgence.
- Dans la foulée, les caisses d’assurances sociales reçoivent durant des mois jusque 500.000 demandes d’allocations de droit passerelle Covid. La demande légitime du Ministre est claire : « L’octroi de la prestation financière de la mesure de crise temporaire droit passerelle doit être traité avec la plus grande souplesse et de la manière administrative la plus simple possible, et avec l’objectif premier d’octroyer cette aide à tout indépendant se trouvant manifestement dans les conditions d’octroi. »
Les enjeux sociaux, économiques, mentaux et de santé publique prennent le dessus sur tout.
- Au point que quelques heures après le lancement de l’opération et la réception des premières centaines de milliers de demandes, les mutuelles tirent la sonnette d’alarme :
La réglementation du droit passerelle prévoit certes qu’un taux ménage ne peut être octroyé sans que la caisse dispose d’une document de la mutuelle attestant que l’indépendant est bien chef de famille. Mais c’est impossible pour les mutuelles de donner suite aux demandes des indépendants. Les mutuelles doivent gérer les situations en matière de santé et d’indemnités de maladie. Elles ne peuvent plus délivrer les attestations aux indépendants.
Si bien que, déjà le 17 mars et le 20 mars 2020, les caisses d’assurances sociales reçoivent l’instruction claire du SPF Sécurité sociale : « Pour déterminer la situation familiale, aucune attestation de la mutuelle n’est requise et une déclaration au nom du travailleur indépendant indiquant qu’il a des charges familiales est suffisante. » « la notion de famille doit toujours être comprise comme étant une charge de famille au sen de l’assurance maladie invalidité. »
Droit passerelle Covid : qui sont les fraudeurs ?
1/. Certains indépendants n’ont aucun enfant ni aucune autre charge de famille et ont coché la case « chef de famille au sens de l’assurance maladie invalidité ». Il est évident que l’Inasti doit les identifier et demander le remboursement du complément. Le contraire est indéfendable, au nom de l’équité attendue dans la Sécu des travailleurs indépendants. On peut parler d’actions nécessaires de lutte contre la fraude (dissuasion à moyen et long terme), même sans devoir prouver la mauvaise foi des intéressés.
2/. Certains couples d’indépendants ont reçu deux fois le complément « chef de famille au sens de l’assurance maladie invalidité ». Bonne ou mauvaise fois, la politique de « maitrise des dépenses » et l’équité entre les familles justifient la réclamation et le remboursement du deuxième complément.
3/. Les autres situations d’indépendants qui ont des enfants et ont coché la case « chef de famille au sens de l’assurance maladie invalidité » posent par contre question. L’équité et la maîtrise des dépenses semblent exiger le remboursement des indus. Mais le contexte de la crise joue. Les indépendants étaient fragilisés par les confinements et les interdictions d’exercer leur job. Les mutuelles ne répondaient plus. Les caisses d’assurances sociales faisaient face à une situation inédite (les 500.000 demandes) empêchant de conseiller leurs clients et de contrôler leurs déclarations. Comment identifier les « profiteurs » parmi les cas de bonne foi ? Impossible.
Tirer les leçons et recadrer la lutte contre la fraude
Il semble bien tard pour revoir toute la séquence politique qui a amené l’Etat et la Sécu à donner la mission aux caisses d’assurances sociales d’aller réclamer à des dizaines de milliers de familles d’indépendants une partie des montants en partie mal payés de ce droit passerelle de crise. Aujourd’hui, de nombreux indépendants ont remboursé. Tant mieux pour les finances de l’Etat. Tant pis pour l’image du gouvernement.
Mais, à court terme, les indépendants en difficultés financières à qui l’on réclame un indu doivent être accompagnés, en vue d’obtenir des facilités de paiement ou de soumettre une demande de renonciation à l’INASTI. C’est cet accompagnement, sur lequel insiste le Ministre des indépendants, que nous effectuons à la Caisse d’assurances sociales UCM.
A moyen terme – mais c’est urgent de le faire – il est absolument nécessaire de tirer les leçons administratives, politiques et sociales de toute cette séquence. On en a un embryon dans le rapport 2022/01 sur le droit passerelle du comité de gestion de la Sécu des indépendants. C’est trop peu.
Une fois, pas deux !
La conviction chez UCM, c’est que pour tout ce qui concerne les situations qui ne sont pas strictement de la fraude sociale, il faut des réactions mesurées : réclamer les indus pour les situations inéquitables les plus évidentes, analyser le contexte, tenir compte du droit à l’erreur dans le chef des assurés sociaux, ajuster l’ampleur des contrôles, identifier les améliorations possibles (flux digitaux par exemple) et prendre les mesures pour éviter que ces situations se représentent à l’avenir. Stop aux politiques « GoForZero » démesurées, qui prévoient que, quel qu’en soit le coût social, mental, économique, l’Etat va rechercher le moindre euro mal payé.
Sans quoi, l’action des autorités devra encore être qualifiée de totalement INACCEPTABLE.
L'auteur.e de cet article
- La sécurité sociale des travailleurs indépendants reste un levier important pour développer l'entreprenariat. J'écris ici, avec le Service d'Etudes, pour défendre les intérêts des indépendants en matière de pensions, de droit passerelle, d'assurance maladie-invalidité,... N'hésitez pas à réagir et à commenter.
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