La réponse semble évidente. Depuis la loi de 2006, quatre critères définissent la distinction entre un salarié et un indépendant. Mais l’évolution du monde du travail, et singulièrement son « uberisation », relance le débat. Un cinquième critère serait-il utile ? Sans doute, mais pas celui de la dépendance économique.
Comment distinguer un indépendant d’un salarié ? La loi de 2006 sur la nature des relations de travail a consacré quatre critères principaux qui permettent d’établir si une relation de travail doit être qualifiée de relation « salarié-employeur » (contrat salarié) ou de relation « indépendant-client » (contrat d’entreprise) :
- l’organisation du travail ;
- l’organisation des horaires ;
- le pouvoir disciplinaire ;
- la volonté des parties.
L’UCM appuie le caractère principal que cette loi – comme la jurisprudence – donne à ces quatre critères.
Comment sécuriser les indépendants ?
Nombreux sont ceux qui veulent aller plus loin, notamment pour débusquer plus facilement les « faux indépendants ». L’UCM soutient la lutte contre l’utilisation abusive d’indépendants et plus largement la lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale.
Mais, outre la question des faux indépendants et des faux salariés, c’est plus largement la question des jobs atypiques qui est en jeu, comme les prestataires de l’économie de plateforme, de l’économie collaborative, comme aussi le recours toujours grandissant aux services de free-lances. Aujourd’hui, certains s’y perdent, même les indépendants!
Tout mais pas un critère de dépendance économique
Jusqu’à présent, la voie la plus facile qui a été explorée a été celle de la dépendance économique. Voie que nous déplorons.
« Si une situation n’est pas claire à propos d’un indépendant, on aurait qu’à considérer que, si cet indépendant dépend – pour ses revenus et la continuité de son activité – de l’autre partie (le gros client), ce gros client doit être considéré comme l’employeur de ce faux indépendant qui serait en réalité son salarié. » Simpliste et critiquable !
L’UCM a de tout temps dénoncé cette voie : en réglant certes une série de situations frauduleuses, l’ajout d’un tel critère casserait dans leur élan une série de vrais entreprises naissantes. Et, à bien y regarder, la dépendance économique – notion relative – n’est pas l’apanage de la relation « salarié-employeur ».
Oui il faut lutter contre les abus de dépendance économique – cela a été fait par exemple en ce qui concerne les franchises -, mais rien ne justifie que cette dépendance soit retenue comme critère de distinction entre les deux statuts.
Cela n’a pas empêché que la loi du 27 décembre 2006 relative à la nature des relations de travail soit malheureusement complétée par des critères accessoires de dépendance économique pour quatre secteurs jugés à risque (construction, gardiennage, transport, nettoyage). Sans grand intérêt sur le terrain.
La jurisprudence mondiale relatives au travail via plateformes digitales
Le 12 décembre 2018, UCM participait à la journée d’étude « La sécurité sociale et un marché du travail en mutation » organisée par le Service publique Sécurité sociale. Nous avons particulièrement apprécié l’exposé de Marco Rocca (CNRS/Université de Strasbourg). Il relevait quatre décisions de justice ayant conduit à la requalification des chauffeurs ou livreurs en travailleurs salariés, pour entre autres la raison :
- que « les chauffeurs Uber n’ont pas la possibilité de développer leur propre clientèle » (Royaume Uni, 10 nov. 2017) ;
- que « les livreurs sont présentés par Foodora comme émanation du business [de Foodora] » (Australie, 16 nov. 2018) ;
- que « les livreurs tant de Deliveroo (Espagne, 1er juin 2018) que de Take Eat Easy (Espagne, 29 mai 2018) sont le visage de l’entreprise pour le clients ».
Cet exposé rejoint parfaitement le questionnement que nous avions eu lors de l’atelier mémorandum « Troisième statut social ? » du 28 novembre 2018 :
« Peut-on parler d’indépendant s’il n’y a pas d’intention de la part de l’acteur de développer son entreprise, que cette entreprise soit personnelle ou qu’il s’agisse d’une PME ? »
L’identité entrepreneuriale comme possible cinquième critère
Certes, dans tous les cas visés par ces décisions de justice, les chauffeurs et livreurs étaient certainement plus ou moins dépendants économiquement de la plateforme. Mais ce n’est – à très juste titre – pas cette dépendance économique qui a été retenue par les juges, mais bien le fait que le travail demandé est intégré dans l’activité principale de la plateforme vis-à-vis de ses clients. Marco Rocca parle de « l’aliénation de la marque ».
Cette jurisprudence semble pouvoir s’appliquer d’une manière beaucoup plus générale:
- Le patron d’une entreprise familiale franchisée se présente comme une entreprise à part entière.
- Idem pour l’équipe de menuisiers qui se limite principalement, mais sous sa propre identité commerciale, à monter des cuisines pour une grande chaîne de magasins de meubles. Ce sont des indépendants, des entrepreneurs.
- Idem pour le médecin spécialiste actif dans tel et tel hôpital : c’est principalement ce médecin que les patients viennent consulter.
- Encore ok pour cette indépendante qui crée son entreprise et sa marque de services de secrétariat et d’aide administrative à destination des PME.
- Dans cet esprit, le livreur pro (ou chef d’un PME de livraison) qui offre ses services à des plateformes de livraison et étend cette offre à des clients directs, répond tout à fait à cette notion d’identité entrepreneuriale.
Le travailleur indépendant, le patron de PME, le free-lance, le sous-traitant, même le patron d’une franchise, même le titulaire d’une profession libérale, ne se contente pas d’exprimer sa volonté d’être actif sous le statut d’indépendant, il concrétise cette volonté en se présentant sous sa propre marque, comme une entreprise à part entière.
Cela peut paraître basique, mais c’est une piste intéressante que notre service d’études va continuer à développer, pour peut-être constituer ce cinquième critère utile dans la distinction entre salariés et indépendants. Un critère qui – vous l’aurez compris, et c’est l’essentiel pour nous – ne casse pas l’initiative entrepreneuriale, mais la renforce !
L'auteur.e de cet article
- La sécurité sociale des travailleurs indépendants reste un levier important pour développer l'entreprenariat. J'écris ici, avec le Service d'Etudes, pour défendre les intérêts des indépendants en matière de pensions, de droit passerelle, d'assurance maladie-invalidité,... N'hésitez pas à réagir et à commenter.
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