Rencontre avec les conciliateurs Etienne De Callataÿ et Paul Soete : la solution à la pénibilité ne passe définitivement pas par le compte pénibilité.
Les discussions au Conseil national de travail (CNT) sont dans l’impasse. Un rapport divisé a été transmis le 13 novembre 2018 aux ministres Bacquelaine (MR) et Peeters (CD&V). Ces derniers ont mandaté Paul Soete et Etienne De Callataÿ d’assurer un dernier round de concertation avec l’objectif de déceler les éventuels points de convergence. Le président UCM, Pierre-Frédéric Nyst et Renaud Francart, expert « pension » du service d’études UCM les ont rencontrés à deux reprises la semaine dernière.
Pour l’UCM, il a toujours été possible et utile de plancher sur des facilités de prise de pension anticipée pour les travailleurs qui ont subi des charges importantes de pénibilité durant leur carrière. Et cela concerne bien entendu aussi les travailleurs indépendants.
Mais doit-on solutionner la fin de carrière des métiers « lourds » en créant des mécanismes aussi « lourds » que ceux proposés par le gouvernement ? Faut-il charger les patrons de PME de calculer la pénibilité et la « lourdeur » du travail de chacun de leur travailleur, année par année, mois par mois, jour par jour,… ?
Nous l’avons déjà signalé sur ce blog dans notre article « Pénibilité : arrêtons de se mentir ! ». Notre réponse est sans appel : Non et encore non !
Besoin d’un régime de compensations simple et vertueux
Si des mesures doivent être prises, il doit s’agir de mesures qui, de manière cumulative :
- Ne nécessitent pas la création d’usines à gaz coûteuses et compliquées pour les entreprises.
Le coût s’entend également en termes de management complexifié et fragilisé en cas de « compte pénibilité ». - Répondent au besoin des individus de retrouver une certaine maîtrise de leur fin de carrière.
Cette nécessité se marque tant du côté des salariés que du côté des indépendants, notamment en réaction au recul de l’âge légal de prise de pension à 67 ans. - Créent des effets vertueux d’encouragement au travail et de soutien à l’emploi (et non l’inverse !).
Force est de constater que le « compte pénibilité » ne répond pratiquement à aucune de ces conditions, et très clairement pas aux deux dernières.
Notre proposition aux conciliateurs : « bonus carrière effective »
La proposition que nous avançons officiellement dans les discussions très ouvertes que nous avons avec les conciliateurs désignés par le gouvernement fédéral est la suivante : mettre en œuvre des « bonus carrière effective » pour celui qui a une carrière professionnelle effective longue, par exemple dès 35 années de carrière travaillées. Il s’agit de lui donner des possibilités de départ à la pension plus tôt qu’à 65 ans (67 ans en 2030). Cela concerne beaucoup de métiers manuels physiquement plus lourds, aussi chez les indépendants.
Prenons l’exemple d’un travailleur qui, au 1er janvier 2022, a l’âge de 61 ans, et 42 années de carrière dont 35 travaillées. Il peut normalement prendre sa pension au 1er janvier 2023 (« date P ») puisqu’il répondra alors à la double condition actuelle d’avoir l’âge de 62 ans et une carrière de 43 années.
Avec le dispositif de « bonus carrière effective », il pourrait par exemple bénéficier d’un bonus carrière de 6 mois. Son avantage serait de pouvoir prendre sa pension au 1er juillet 2022, sans attendre sa « date P » du 1er janvier 2023. La prise en compte de la pénibilité liée à sa « carrière travaillée » de 35 ans (ajout fictif de 6 mois à sa « carrière totale « ) lui vaut donc de pouvoir anticiper encore de 6 mois supplémentaire sa prise de retraite.Idem pour celui dont la « date P » correspond à son 65e anniversaire : s’il a une carrière travaillée au moins égale à 35 ans, il pourrait partir à la pension dès 64 ans et demi.
Ce système permet de nombreuses variantes et sous-mécanismes d’ajustement, comme prévoir un avantage supplémentaire pour des carrières travaillées encore plus longues, ou prendre en compte certaines périodes comme le congé de maternité. Une alternative supplémentaire pourrait – pour autant qu’elle soit finançable et ne remette pas en cause la durabilité des régimes de pension – être que ce bonus, en plus d’influencer la « date P », influence aussi à la hausse le montant de la pension.
Des mécanismes pour tous, un incitant vers l’emploi
Ces mécanismes présentés ci-dessous viennent compenser les règles plus strictes de départ à la pension, en impactant positivement l’exercice de métiers généralement lourds. Ils ont les avantages suivants :
- Aucun travailleur n’est exclu a priori : aucun secteur, ni aucune profession, ni aucun travailleur ne fait l’objet d’une exclusion ni par loi, ni par arrêté, ni par directive.
- L’octroi de l’avantage se fait sur la base des données déjà présentes dans la BCSS (Banque-Carrefour de la Sécurité sociale) et Sigedis (Banque de données Pensions).
- Elle donne également une possibilité de prise en compte des années travaillées antérieurement à la date d’entrée en vigueur des mécanismes.
- L’octroi s’applique sans aucun frein aux carrières mixtes, carrières mixtes par exemple indépendant-salarié qui sont peu à peu la norme.
- Les mécanismes ont un caractère auto-portant : les coûts en pension des mécanismes proposés sont en partie couverts par les incitants à travailler qu’ils comportent, et donc par une certaine dynamisation du marché du travail.
Nous restons très attentifs à ce que le système de fins de carrière soit simple et applicable pour les employeurs et pour les indépendants.
L'auteur.e de cet article
- La sécurité sociale des travailleurs indépendants reste un levier important pour développer l'entreprenariat. J'écris ici, avec le Service d'Etudes, pour défendre les intérêts des indépendants en matière de pensions, de droit passerelle, d'assurance maladie-invalidité,... N'hésitez pas à réagir et à commenter.
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